La guerre des talents pour le développement et la direction des nouveaux programmes

La guerre des talents pour le développement et la direction des nouveaux programmes

Le paysage de l’enseignement supérieur français est en pleine mutation. Face à une demande croissante d’ingénieurs, de techniciens et de managers intermédiaires, les établissements, qu’ils soient publics ou privés, multiplient les nouvelles formations professionnalisantes.

Les Bachelors, Mastères spécialisés et autres programmes axés sur l’employabilité deviennent des piliers stratégiques pour capter de nouveaux viviers d’étudiants, notamment à l’international, et pour répondre aux besoins pressants des entreprises.

Cette prolifération de l’offre déclenche une compétition intense, non seulement pour attirer les étudiants, mais aussi pour recruter les talents capables de diriger ces programmes innovants. Une véritable « guerre des talents » managériaux s’est engagée, où les profils recherchés combinent expertise académique et compétences entrepreneuriales issues du secteur privé.

La nécessité d'un pilotage entrepreneurial

Le modèle économique des nouvelles formations professionnalisantes, en particulier dans le secteur privé, repose sur un « modèle de coût fixe ». La rentabilité et la pérennité de ces programmes dépendent directement de leur capacité à attirer un nombre suffisant d’étudiants pour dépasser un seuil critique. Cette logique économique impose un mode de pilotage résolument entrepreneurial. Le directeur d’un Bachelor ou d’un Mastère spécialisé n’est plus seulement un responsable pédagogique ; il est un véritable chef d’orchestre et développeur d’affaires.

Ses missions s’apparentent à celles d’un manager en entreprise :

1. Conquête de marché : Le directeur doit drainer de « nouveaux viviers d’élèves en France et à l’étranger ». Cela implique la mise en place de stratégies marketing digitales puissantes, rapides et efficaces, une présence dans certains salons stratégiques, et une communication agressive sur les réseaux sociaux pour se démarquer dans un marché concurrentiel. Il s’agit ensuite d’accompagner les conseillers en formation ou responsable d’admission à apporter une réponse ciblée, rapide et pertinente pour capter leurs étudiants.

2. Gestion financière : Le programme doit être rentable. Le directeur est souvent responsable de l’équilibre budgétaire, du P&L, de l’ebitda. Maitriser les couts pédagogiques, piloter la masse salariale au plus juste, et optimiser chaque metre carré du campus sont nécessaires. Cela couvre la gestion des frais de scolarité (qui peuvent être élevés), et de la recherche de financements complémentaires, notamment via l’apprentissage. Comme le souligne une analyse du secteur, la croissance du chiffre d’affaires et du résultat des écoles a été directement liée à leur capacité à développer l’alternance, qui fut un levier de croissance ces dernières années mais aujourd’hui menacé par la baisse des aides à l’alternance.

3. Développement de l’offre : Le directeur doit constamment adapter le programme aux « besoins des entreprises » et aux « mutations technologiques, économiques et sociales ». Cela exige une veille permanente du marché du travail, une capacité à innover dans les contenus et à créer des spécialisations attractives, par exemple dans le numérique, la transition écologique ou la santé.

Un profil hybride : L'académique-manager

Pour mener à bien ces missions, les établissements recherchent des profils rares, à l’intersection du monde académique et du business. La « guerre des talents » pour ces postes de direction se joue sur la capacité à recruter des individus possédant une double culture. 

Les compétences clés recherchées sont : 

  • La légitimité académique : Le directeur doit garantir la qualité du programme. Il doit être capable de concevoir des maquettes pédagogiques, de recruter un corps professoral d’excellence (combinant universitaires et intervenants professionnels) et de s’assurer de la reconnaissance du diplôme (visas, grades, titres RNCP). C’est un gage de crédibilité indispensable auprès des étudiants, des familles et des instances d’accréditation.
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  • Le sens des affaires (« Business Acumen ») : Le pilotage d’un programme est assimilable à la gestion d’un centre de profit. Les directeurs doivent posséder des compétences en marketing pour « vendre » leur formation, en gestion de projet pour la piloter efficacement, et en développement de partenariats pour tisser des liens solides avec les entreprises (stages, alternance, interventions).
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  • Des compétences en management d’équipe : Le directeur doit animer un écosystème complexe, composé d’enseignants-chercheurs, d’intervenants extérieurs, de personnels administratifs et d’étudiants. Il doit savoir fédérer ces acteurs autour d’un projet commun, une compétence directement issue du management d’équipes en entreprise.

 

Les parcours hybrides répondent à ces enjeux en offrant une connaissance pédagogique ou légitimité académique, une expérience de développement commerciale réussie et une posture entrepreneuriale.

La bataille de la notoriété et de l'attractivité internationale

La compétition pour attirer les étudiants, notamment internationaux, est devenue mondiale. Dans ce contexte, la marque et la réputation d’un programme sont des actifs stratégiques. Le directeur de formation est en première ligne pour construire et défendre cette notoriété.

Il doit agir comme un véritable « brand manager » :

Construire une image de marque : Le nom du programme, ses spécialisations, son positionnement (par exemple, « luxe », « tech », « durable ») sont des éléments marketing essentiels. L’objectif est de se différencier et de créer une « image positive ».

Développer l’attractivité internationale : Les nouvelles formations comme les Bachelors ou BBA sont souvent conçues pour un public international ou anglophone avec des cours en anglais. Le directeur doit donc piloter le recrutement en France et à l’étranger, en s’appuyant sur des réseaux comme Campus France ou en développant ses propres canaux. La concurrence est rude en France et face aux systèmes anglo-saxons, et la capacité à attirer des étudiants étrangers est un critère de succès majeur.

Valoriser l’insertion professionnelle : Le principal argument de vente de ces formations est « l’employabilité ». Le directeur doit donc piloter activement les relations avec les entreprises, suivre les taux d’insertion, et communiquer sur la réussite professionnelle des diplômés, qui deviennent les meilleurs ambassadeurs du programme.

La création massive de Bachelors / BBA et de formations professionnalisantes a transformé la direction de programme en un rôle hautement stratégique, exigeant des compétences qui dépassent largement le cadre académique traditionnel. Les directeurs de ces nouvelles formations sont devenus des entrepreneurs de l’éducation, chargés de conquérir des marchés, d’assurer la rentabilité financière et de construire des marques fortes à l’international.

Dans cette « guerre des talents », les établissements qui réussiront seront ceux capables d’attirer et de fidéliser ces profils hybrides, à la fois pédagogues aguerris et managers visionnaires, capables de naviguer avec agilité entre les exigences académiques et les impératifs du marché.

Ce qu’il faut retenir

La multiplication des Bachelors et formations professionnalisantes transforme le rôle de leur direction. Les directeurs ne sont plus uniquement des pédagogues, mais de véritables entrepreneurs de l’éducation. Ils doivent maîtriser la conception académique, assurer la rentabilité, développer une offre attractive et piloter la marque à l’international. Les établissements entrent ainsi dans une compétition mondiale pour recruter ces profils hybrides, rares et stratégiques, capables de conjuguer excellence académique et business development.

FAQ

Quels profils sont recherchés pour diriger un programme type Bachelor ou un Mastère spécialisé ?
Les établissements recherchent des profils hybrides, combinant légitimité académique et sens du business. Ils doivent savoir concevoir une offre pédagogique crédible tout en pilotant un centre de profit : gestion budgétaire, stratégie marketing, partenariats avec les entreprises et animation d’équipes pluridisciplinaires.
La rentabilité dépend du recrutement d’un volume suffisant d’étudiants, du développement de l’alternance et de la formation continue, et d’une gestion stricte du budget. La capacité à diversifier les sources de revenus, notamment via des partenariats économiques, est également déterminante.

Les Bachelors et Mastères spécialisés ciblent de plus en plus les étudiants internationaux. Cours en anglais, partenariats académiques, actions marketing à l’étranger et communication sur l’employabilité sont devenus des leviers indispensables pour se positionner face aux modèles anglo-saxons.

Le principal risque est de ne pas attirer ou fidéliser les bons profils de directeurs. Sans leadership entrepreneurial, les programmes risquent d’échouer à atteindre leur seuil de rentabilité, de perdre en attractivité face à la concurrence, et de fragiliser la réputation globale de l’établissement.