
Recruter un dirigeant senior : repli ou clairvoyance ?
Pourquoi le "flight to experience" peut (vraiment) faire gagner l'entreprise en période d'incertitude.
Depuis plusieurs années, les entreprises traversent une mutation continue. Accélération digitale, réorganisations post-COVID, bouleversements géopolitiques, exigences réglementaires accrues, pression croissante autour des critères ESG, complexification des business models… Ce contexte ne représente plus une crise ponctuelle. Il dessine une nouvelle normalité : instable, volatile, parfois illisible. Dans ce climat, un réflexe s’impose dans les cercles de gouvernance : faire appel à des profils expérimentés pour retrouver une forme de clarté.
Ce retour vers l’expérience, baptisé flight to experience dans les milieux anglo-saxons, reflète un besoin de stabilité dans l’instabilité. Il se manifeste par la réintégration de dirigeants très expérimentés – souvent entre 55 et 70 ans – à des postes stratégiques. Ces profils, anciens DG, DAF, DRH ou patrons de BU, sont appelés pour guider, arbitrer et transmettre. Ce phénomène a été aussi bien observé dans les grands groupes que dans les ETI familiales, les PME en mutation, les entreprises sous LBO, et les structures publiques soumises à transformation.
Dans cette dynamique, une question affleure : faire appel à un dirigeant senior représente-t-il un réflexe défensif ? Ou bien la manifestation d’un regard lucide sur les défis contemporains ?
Chez Keyman, nous voyons dans ce mouvement un levier stratégique puissant. Une énergie qui doit être activée avec discernement, loin des clichés.
- Le retour de l’expérience dans les décisions de haut niveau
- Ce que les dirigeants seniors veulent vraiment
- Une responsabilité collective : faire une place juste à l’expérience
- Repenser la compétitivité : miser sur la sagesse
- Recruter un profil hybride Finance / IA : une mission à géométrie fine
- Ce qu’il faut retenir
- FAQ
Le retour de l’expérience dans les décisions de haut niveau
Dans les contextes d’incertitude durable, les dirigeants ont besoin de points d’ancrage. Ils recherchent « une personne qui a déjà traversé des contextes complexes », « quelqu’un qui sait poser un cadre durablement », « un dirigeant capable de maintenir le cap malgré l’amplification de la pression ».
C’est un basculement. Les demandes axées sur l’aspect disruptif des candidats s’orientent désormais vers la temporisation. La quête de prise de vitesse et les profils fonceurs sont boudés au profit de ceux capables de prendre le recul, de renoncer pour consolider. L’expérience devient alors un levier d’arbitrage. Un filtre de priorisation. Un capital stratégique mobilisable.
Les données confirment ce glissement :
- – L’âge moyen des administrateurs du S&P 500 atteint aujourd’hui 63 ans.
- – De nombreux conseils repoussent leurs limites d’âge statutaires à 72, voire 75 ans.
- – Les nominations au sein des comités exécutifs privilégient des profils ayant piloté plusieurs cycles économiques.
Plusieurs études montrent d’ailleurs que les dirigeants ayant traversé des cycles de transformation majeurs – crise financière de 2008, pandémie de 2020, chocs de réorganisation massifs, possèdent une capacité décisionnelle accrue en période de stress organisationnel. Harvard Business Review a souligné en 2023 que « les dirigeants expérimentés prennent en moyenne 20 % de décisions clés en moins, mais avec un taux d’impact durable supérieur de 40 % ».
Dans les secteurs industriels, les grands groupes comme Siemens ou Schneider Electric ont documenté le recours stratégique à des profils seniors pour mener des projets de restructuration ou d’intégration post-acquisition. Chez Siemens, un ancien COO de 68 ans a piloté une fusion complexe sur 24 mois, avec une réduction de turnover de 35 % dans les équipes rattachées.
Ce mouvement témoigne d’un besoin des dirigeants de pairs ayant déjà affronté la complexité et qui, quand il fallait agir, ont adopté une vision stratégique axée sur la priorisation pour éclairer ce qui mérite une véritable attention.
Ce que les dirigeants seniors veulent vraiment
On les imagine parfois fatigués, usés ou distants. En réalité, les dirigeants seniors incarnent une énergie singulière. Elle nourrit davantage un projet structurant pour l’entreprise qu’une projection de carrière. Comme tournée tout naturellement vers le collectif et le participatif. Une aubaine pour les entreprises à condition de respecter leur exigence.
Les dirigeants seniors attendent un cadre d’action aligné, sans jeux de pouvoir stériles, sans injonctions contradictoires, sans stratégies court-termistes. Car, comme évoqué, ce qui les mobilise, ce n’est pas la sécurité, mais la possibilité de contribuer avec intégrité. Être utile.
Ainsi, ils pourront s’engager et mettre en œuvre ce qu’ils ont appris dans un environnement qu’ils peuvent encore très bien comprendre, et dans lequel ils peuvent encore se nourrir, sans devenir des « figures tutélaires ». Comme dans des organisations qui valorisent les regards pluriels, qui adoptent des gouvernances hybrides, aux côtés de profils plus jeunes, avec lesquels ils peuvent croiser leurs intuitions.
Ce désir d’engagement aligné apparaît aussi dans les chiffres. En France, l’étude ANDRH/BCG 2023 sur les transitions professionnelles indique que 68 % des cadres de plus de 55 ans envisagent une poursuite d’activité à condition que leur rôle soit « contributeur à la transformation ». Aux États-Unis, un rapport du Center for Creative Leadership souligne que les dirigeants expérimentés privilégient les environnements où ils peuvent exercer une influence directe sur les orientations stratégiques, tout en étant dégagés des obligations de représentation ou de politique interne.
Dans certains cas, ces profils s’épanouissent dans des structures en mission, des coopératives ou des entreprises à gouvernance partagée. Leur présence rassure sans alourdir. Leur rôle de transmetteur stratégique se révèle particulièrement précieux dans des contextes de croissance rapide ou de recomposition sectorielle.
Une responsabilité collective : faire une place juste à l’expérience
ntégrer des profils expérimentés dans des fonctions de direction ne relève pas d’un simple ajustement RH. Cela engage un changement culturel profond. Tant que l’expérience sera perçue comme un attribut statique ou comme un risque de ralentissement, les organisations en limiteront la portée. Il est temps d’en faire un levier vivant de transformation.
Certaines entreprises explorent des formats novateurs : binômes intergénérationnels, mentoring inversé, co-pilotages temporaires. Ces dispositifs traduisent une bascule : le leadership n’est plus l’affaire d’un âge ou d’un profil unique. Il devient une partition collective, dans laquelle les temporalités se répondent.
Dans les pays scandinaves, plusieurs groupes publics expérimentent des gouvernances intergénérationnelles. En Suède, un programme mené dans le secteur hospitalier a révélé que les équipes intégrant un binôme jeune dirigeant / dirigeant senior réduisaient les tensions managériales de 28 % et augmentaient de 17 % le taux d’adhésion aux décisions collectives (rapport Karolinska Institute, 2022).
Le Japon, de son côté, formalise des rôles de « leaders mentors » dans les grands keiretsu (groupes d’entreprises). Ces profils seniors accompagnent les jeunes CEO dans la gestion du pouvoir symbolique et de la pression sociale, contribuant à la résilience des organisations dans les phases de transmission.
Accueillir un dirigeant senior, c’est aussi changer son regard sur la trajectoire. Un parcours non linéaire, une période d’arrêt choisie, un repositionnement tardif, une bifurcation courageuse : autant de signaux riches de sens. Là où les grilles classiques pointent une anomalie, l’analyse stratégique repère un apprentissage clé. L’expérience demande une lecture subtile. Elle mérite une place juste, non symbolique.

Ce que nous observons chez Keyman
En vingt ans, notre grille de lecture du leadership a profondément évolué. À une époque, l’innovation était indissociable de la jeunesse. Les attentes clients orientaient vers des profils en rupture. Aujourd’hui, la rupture est moins séduisante que la capacité à tenir dans la durée.
Notre rôle, chez Keyman, consiste à détecter ces trajectoires ancrées. Nous interrogeons les ruptures, les renoncements et les responsabilités endossées dans des conditions limites. C’est là que se révèle le leadership de maturité
Repenser la compétitivité : miser sur la sagesse
La sagesse, dans le vocabulaire économique, reste souvent sous-employée. Elle semble trop intangible, trop lente. Pourtant, dans nos missions, nous constatons qu’elle représente un actif différenciant. La sagesse n’endort pas. Elle structure. Elle guide.
Elle permet d’identifier les véritables enjeux. De filtrer le bruit ambiant. De choisir les combats utiles. Elle refuse les emballements sans tomber dans la paralysie. Elle accélère quand l’essentiel est clair. Elle freine quand l’orgueil pousse à l’aveuglement.
Dans un monde saturé d’injonctions contradictoires, la sagesse devient un facteur de compétitivité. Les dirigeants seniors qui incarnent cette sagesse active ne ralentissent pas l’entreprise. Ils en augmentent la pertinence.
Dans un article du MIT Sloan Management Review, les auteurs rappellent que « la sagesse managériale repose moins sur l’accumulation de décisions passées que sur la capacité à relier les événements entre eux avec une vision méta ». Cette compétence d’analyse systémique, souvent issue d’années d’exposition à des contextes extrêmes, se montre décisive dans les comités de crise, les choix d’arbitrage ou les phases de recentrage stratégique.
Chez Nestlé, par exemple, la création d’un « Comité d’expérience » chargé d’accompagner les projets à fort enjeu long terme a permis de stabiliser plusieurs grands chantiers de digitalisation. Ce comité, composé de profils ayant plus de 30 ans d’ancienneté dans des fonctions transverses, intervient comme contre-pouvoir éclairé, facilitant la transmission des enjeux historiques dans les choix de rupture.
Leurs décisions tracent des lignes claires. Leur expérience ne les enferme pas. Elle les affûte. Elle ne s’impose pas. Elle s’offre. Elle rend possible l’émergence d’un collectif plus fort.
Le courage de faire autrement
Recruter un dirigeant senior revient à engager l’organisation dans un rapport plus lucide au temps, au pouvoir, à l’impact. Ce choix demande du courage, car il suppose de sortir des récits dominants. Il oblige à regarder l’expérience non comme une fin de course, mais comme un élan mûri.
Dans ce monde en transformation, il existe peu de certitudes. Mais certains savoirs résistent : savoir écouter, savoir décider, savoir transmettre. Ces savoirs ne s’improvisent pas. Ils se cultivent.
Chez Keyman, nous croyons à ces trajectoires puissantes, souvent en dehors des radars classiques. Nous savons qu’un dirigeant expérimenté, engagé avec clarté, peut changer la donne. Pas parce qu’il détient la vérité. Parce qu’il sait reconnaître l’essentiel, et faire confiance au reste.
Et si, en période d’incertitude, faire autrement consistait justement à convoquer cette part de maturité pour mieux agir ?
Ce qu’il faut retenir
Face à une instabilité économique et géopolitique devenue la nouvelle norme, les entreprises se tournent de plus en plus vers des dirigeants seniors (55-70 ans) pour leur expérience et leur capacité à naviguer en eaux troubles. Ce phénomène, appelé « flight to experience », n’est pas un repli défensif mais une stratégie lucide pour gagner en clarté, en stabilité et en pertinence. Ces profils expérimentés prennent moins de décisions, mais avec un impact durable bien supérieur, car ils savent prioriser l’essentiel et filtrer le bruit ambiant. Leur motivation n’est plus la carrière, mais le désir de contribuer avec intégrité à un projet structurant, ce qui en fait un atout stratégique pour la transformation des organisations.
FAQ – Recruter un senior, bonne ou mauvaise idée ?
Sérieusement, engager un dirigeant de plus de 60 ans, n'est-ce pas un peu... risqué et démodé ?
Pas du tout ! C’est même devenu une stratégie de pointe appelée le « flight to experience ». Dans un monde imprévisible, les entreprises recherchent des profils qui ont déjà « vu la guerre » : crises financières, pandémies, réorganisations massives. Leur expérience n’est pas un poids, mais un capital stratégique pour maintenir le cap et prendre des décisions solides sous pression. L’âge moyen des administrateurs du S&P 500 est d’ailleurs de 63 ans !